Revue de presse
Interview de Rafael (Di6dent)
Interview publiée dans le numéro 2 du magazine Di6dent (mai 2011, page 41), réalisée par Julien Clément.
Hmmm, Bloodlust. Des gros barbares. D’énormes épées (ou haches de batailles, c’est selon les goûts) aux pouvoirs surhumains. Et, surtout, surtout, la couverture de Frazetta. Peut-on a priori imaginer un jdr plus décomplexé dans la production francophone de ces dernières années ? Or, comme vous le savez depuis le numéro 1 de Di6dent, toute une équipe d’auteurs talentueux (et bien décomplexés au niveau des délais !) planche depuis des mois sur un remake du fameux jeu de Croc : Bloodlust Metal. Rencontre avec l’un d’entre eux, Rafael. En toute décomplexitude, bien sûr.
Di6dent. Bloodlust, Bloodlust... ? Attends, Rafael, c’est bien le jeu où on peut jouer des gros barbares poilus tenant à pleines mains des épées phalliques, c’est bien ça ?
Rafael Colombeau. Oui, et bien plus ! En plus des barbares, il y avait les amazones sexy, les mutants étranges ou les orientaux fourbes et avides. Et côté armes, outre les épées, il y avait toutes une panoplie de trucs pointus, coupants ou contondants. Du sang, du sexe et des clichés ! De quoi assurer de gros cauchemars et un gros audimat à Mireille Dumas.
Di6. On te pose cette question car c’est encore l’image que le jeu a auprès de pas mal de rôlistes, qu’ils le connaissent vraiment ou pas, d’ailleurs. Est-ce que cette image vous a inquiété ou freiné au moment de vous lancer dans le projet de seconde édition du jeu Bloodlust Métal ?
R. Nous avons décidé de faire ce remake parce que nous sommes des fans de la première édition. Cette image ne nous a pas inquiétés : c’est elle qui nous a séduits à l’époque, et même si on a pris vingt ans dans la vue, elle reste partie intégrale de Bloodlust. Mais rassurez-vous, c’est bien d’un remake qu’il s’agit, et il y a pas mal de choses qui changent.
Di6. Justement, sur ce point, je crois qu’on peut dire que les illustrations de la 1ère édition, et tout particulièrement la couverture de la boîte signée Frazetta, ont beaucoup contribué à cette image. Quels sont les choix de direction artistique que vous avez fait pour ce remake ? Ont-ils été influencés par cet héritage ?
R. Les illustrations de l’édition Métal sont dans la même logique que les textes. C’est dur, sec, violent et franc. C’est Christophe Swal qui a livré les premières illustrations, et il pose un monde comme nous l’espérions : sans concessions. Le Grumph, de son côté, a carrément changé son style pour se glisser dans ce moule, avec des dessins plus dur et plus sombres que ceux à quoi il nous avait habitués.
Di6. Tu dis «plus sombre». En effet, Bloodlust peut être vu comme un jeu franchement décomplexé mais aussi, à l’inverse, comme un jeu «prise de tête» axé sur les conflits d’intérêt voire la sorte de schizophrénie qui s’instaure entre l’Arme et son porteur. Est-ce dans cette direction que vous avez voulu aller avec l’Édition Métal ?
R. Les deux mon capitaine ! Bloodlust permet tout ça à la fois. L’univers et l’ambiance du jeu sont propices aux pires lâchages de tête, au bourrinisme défouloir basique, aussi bien qu’aux scénarios stressants et tendus. Tu vas me dire qu’on peut faire ça dans n’importe quel jeu, qu’on peut jouer des scénarios d’horreur à Toon ou des histoires burlesques à Cthulhu. Il suffit de tordre un peu le jeu de base, de changer son paradigme. Simplement, Bloodlust contient les germes de tous ces styles de jeu en lui. Les porteurs d’Armes et les Dieux incarnés sont en quête de sensations de toutes sortes. Pour des joueurs débutants, ça se résume parfois à une quête d’adrénaline, mais le monde est assez complexe, et - on l’espère - assez intéressant pour qu’ils se trouvent vite plus d’options, plus de variétés.
Di6. Comment avez-vous voulu rendre cela dans les règles ? Le background ?
R. Pour le background, nous avons essayé de faire profiter les joueurs de vingt ans de jeu et de dix ans d’existence du Mois des Conquêtes. Nous avons pris le Tanaephis de départ, et nous y avons ajouté une foule de détails, d’anecdotes, de précisions. De quoi alimenter un jeu plus varié donc, avec des décors et des ambiances différentes. Coté règles, il y a un exemple assez parlant : le système de tension. Les PJ ont un score de tension qui augmente quand ils subissent des coups de stress ou de trouille. Le score de tension monte aussi si les personnages vont contre leurs désirs - un autre aspect essentiel du jeu. Trop de tension provoque des malus, des actions plus difficiles à réussir. Par contre, si les joueurs satisfont leurs désirs, se défoulent, leur tension baisse. Pour résumer, Métal et le premier système que je connaisse ou une bonne baston d’auberge, un tour au bordel ou une belle histoire d’amour peuvent améliorer tes scores de jeu.
Di6. Hu, hu : «bordel», «histoire d’amour», tu commences à m’intéresser, là ! Dans le Bloodlust original, il y avait parmi les caractéristiques des Armes un Désir «Sexe» qui, s’il était en positif, incitait le PJ porteur à se livrer à toutes sortes d’actes plus ou moins pervers pour le satisfaire. Toi et l’équipe ayant travaillé sur Bloodlust Métal, vous êtes totalement à l’aise avec ça et ce que ça peut donner autour de certaines tables particulièrement... disons, euh... décomplexées ?
R. Pour commencer, ce sont les désirs humains. Les Armes n’apportent que des orientations ou des tendances supplémentaires. Et il y a mille manières de satisfaire un désir, pas juste les plus tordues. Au joueur de se creuser un peu la tête. Ce serait un peu facile de se cacher derrière sa fiche pour dire «Mais je suis obligé de faire ça, regarde, c’est ma feuille de perso qui m’oblige !». Dans la version Métal, nous avons remplacé «Sexe» par «Plaisir». Ce n’est pas pour adoucir le truc ou rassurer mémé ; c’est juste qu’on trouvait dommage d’oublier la gnole, les drogues diverses et les mille et une façons de se faire du bien avec une ficelle et un bâton. Je suppose que ça peut paraître un peu limite dans l’ambiance actuelle de politiquement correct, mais en effet on assume. Lorsque je maîtrise, j’ai tendance à être assez cash, et à ne pas trop lésiner sur les descriptions un peu trash ou sexy. Cela donne de beaux moments de solitude en démo public lorsque tu vois une gentille petite famille avec deux bambins ralentir devant ta table alors que tu t’apprêtes à décrire une scène de torture. On apprend beaucoup coté improvisation dans ces moments-là. Ensuite, on comprend très bien que selon les tables, on trouve du soft gentillet ou du glauque tendance SM. Dans le livre, on donne des conseils sur ce point-là, mais pas un guide sur comment «bien jouer à Bloodlust». Chaque table trouvera son propre équilibre, et c’est un des trucs les plus agréables en JdR selon moi.
Di6. Puisqu’on en est à parler des trucs cool : un jeu où on interprète des armes et des guerriers doit sans doute nécessiter une attention toute particulière au système de combat, non ? Peux-tu nous en dire plus sur ce que propose Bloodlust Métal à ce sujet ?
R. Le système Métal est une bizarrerie. Il propose une base de jeu dans laquelle, si vous savez vous y prendre, vous ne ratez presque aucun jet. Si une action est trop difficile pour vous, vous pouvez ne pas la tenter, tout simplement. Si elle est à votre portée, un jet suffit pour obtenir la réussite et sa qualité, sans aucun calcul de marge ou jet annexe. Les joueurs, au début, ont parfois l’impression qu’ils ne peuvent presque rien rater, ce qui les perturbe un peu. En fait, ce sont eux qui s’adaptent à leur personnage et agissent de façon à optimiser les bonus ; mais comme cela se fait sans calcul ni ajout de pourcentage, c’est assez transparent. Et puis ils se retrouvent face à un adversaire, et ils s’aperçoivent que les choses ne sont pas si roses que ça. Le système de blessure ne pardonne rien. Lorsqu’un coup porte, les personnages s’affaiblissent à vitesse grand V. Et si un coup est particulièrement réussi, c’est la blessure directe, l’inconscience ou la mort instantanée. Et il ne suffit pas d’avoir les plus gros dégâts ou la meilleure compétence ; il faut apprendre à choisir son terrain, à prendre des risques et à jauger son adversaire. Il a fallu plus de trois ans de tests pour arriver au système actuel, mais nous en sommes plutôt contents. Reste à espérer que les joueurs accrocheront.
Di6. Bizarrerie, tu dis ? Justement, jouer un objet (une arme), même divin, ou encore jouer deux personnages en un (l’arme et son porteur), ça peut être vu comme un peu «bizarre». Diamétralement opposé à sa réputation «décomplexée», est-ce que Bloodlust n’était pas aussi un jeu un peu expérimental, quelque part en avance sur son époque ? Est-ce que ce sentiment a joué au sein de l’équipe pour faire mûrir ce projet ?
R. Soyons francs : l’idée fédératrice de Bloodlust, c’était de réunir tous les fantasmes fantasy des joueurs de l’époque. Il y a du Conan, du Stormbringer, une touche de Cycle des épées, et des emprunts assumés à JRTM, Warhammer et Runequest. Le coté expérimental du jeu - avec ses joueurs schizophrènes, les personnages immortels, les meneurs multiples - est un bonus génial, mais qu’on découvre avec le temps. Au début, on se lance surtout dans Bloodlust pour son pitch, son ambiance et son coté fun. Ensuite on découvre un univers bien plus profond que prévu, et en effet, des manières de jouer inattendues. Cette alchimie nous a passionné il y a vingt ans, et ce qui a joué au sein de l’équipe, c’est surtout l’envie de faire passer tout ça à une nouvelle génération de joueurs.
Di6. Ah ouf, tu me rassures ! Donc, si je veux jouer un gros barbare velu avec une hache de deux mètres de long à Bloodlust Métal, c’est toujours prévu, c’est bien ça ?
R. On peut. On peut tout jouer, tout faire, se lâcher et se défouler brutalement sur de pauvres PNJ qui n’ont rien demandé. Ou pas. Les jeux ne sont jamais plus décomplexés que les joueurs, et c’est eux qui choisiront de jouer fin ou bourrin, soft ou trash. En vingt ans, les fans de Bloodlust ont commis presque autant de variantes de ce jeu qu’il y avait de tables, et je suis certain que les petits nouveaux sont aussi malins - et pervers - que les vieux briscards. Nous, on livre juste des textes ; le vrai jeu, c’est à la table qu’il se crée. Enjoy.